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Compte-rendu de l'audition de Mgr Gollnisch, directeur général de l'Oeuvre d'Orient, Assemblée nationale, 8 novembre 2016
Devant le Groupe d'études sur les chrétiens d'Orient, Mgr Gollnish a fait un point détaillé sur la situation des chrétiens orientaux.
"D'un point de vue ecclésial, ce que l'on appelle les églises de rite oriental se situent sur le territoire de l'ancien Empire Romain d'Oriant, par opposition à nos églises qui relèvnt de l'Empire latin.
Ces églises ne se situent pas seulement en territoire arabe. J'appelle votre attention sur les chrétiens d'Ukraine, d'Ethiopie, d'Erythrée, sur les 10 millions de chrétiens présents en Inde (Malabars et Malankars), les chrétiens encore présent en Iran ou ceux vivant en Turquie.
J'insiste tout particulièrement sur la situation des Erythréens, soumis à un service militaire à durée indéterminée qui a fini par créer un génération de réfugiés. En Turquie, je rappelle que l'église catholique ne possède pas d'existence légale, y compris sous la forme d'association. Dans ce pays, lorsqu'une église est restaurée, elle est souvent fermée au culte pour devenir un musée.
Je vais maintenant aborder la question de l'Irak et de la Syrie.
S'agissant de l'Irak, nous assistons à un début d'action militaire concertée pour agir contre Daesh dont les actions ont atteint un degré de cruauté inimaginable. Les pays occidentaux n'ont pas vu toutes les images - fort heureusement - mais on peut s'attendre à de nouvelles découvertes macabres au fur et à mesure de la libération des territoires. Il m'apparaît nécessaire de neutraliser Daesh. L'action militaire importe aux pouvoirs publics mais il me semble aussi essentiel de s'attaquer aux réseaux sociaux de propagande, au fonctionnement de son économie et aux trafics en tous genres, particulièrement d'armes.
Je me réjouis de la libération de la plaine de Ninive et j'aimerais ici vous convaincre de porter, par vos voix et vos actions, un question essentielle, celle de la protection des minorités au sein de l'Irak. S'il m'apparaît prématuré de faire revenir aujourd'hui des chrétiens à Mossoul, un retour dans la zone constituée par la plaine de Ninive, située sur la rive gauche du Tibre, devrait être encouragé. Plusieurs questions se posent :
- le financement des opérations de déminage. Cette question doit être sasie par les pouvoirs publics et portée auprès de l'organisation des Nations Unies ;
- le financement de la reconstruction. Des organismes sont prêts à agir, encore faut-il que des priorités soient établies. Si l'on souhaite le retour des chrétiens, il faut pouvoir symboliquement acter ce retour par la reconstruction des lieux de culte, dont le financement pourrait nous apparaître assez léger par rapport aux maisons et aux équipements collectifs. Or je ne crois pas qu'un quelconque retour soit possible sans lieu de rassemblement ;
- la sécurisation des populations : il existe une grande défiance des minorités à l'égard du pouvoir central. La mise en place d'une armée confessionnelle ne m'apparaît pas souhaitable, les chrétiens ayant vocation à rejoindre les rangs des armées de leurs contrées respectives. Cela étant, la protection des villages pourrait passer par l'organisation de milices ou même être assurée par des Casques bleus de l'ONU .
- l'organisation administrative. La plaine de Ninive est libérée avec le concours des kurdes mais ne constitue pas une zone historiquement kurde. Il importe de permettre aux minorités, particulièrement chrétiennes, d'avoir leurs représentants officiels, habilités à parler en leurs noms et défendre leurs droits.
Tous ces éléments sont des signes majeurs permettant d'assurer aux chrétiens qu'un retour est possible. Je rappelle que les chrétiens sont appelés à jouer un important rôle de médiation. Leurs écoles, leurs hôpitaux sont ouverts à tous sans distinction. Si nous laissons s'effondrer ces lieux de rencontre, le pays perdra toute capacité de médiation. Si le retour des chrétiens n'est pas assuré, il en sera de même des autres minorités. C'est cela qui est en jeu !
S'agissant de la Syrie, j'estime qu'il faut reconsidérer la question de l'embargo. L'Oeuvre d'Orient, comme nombre d'associations humanitaires, agit pour la population syrienne dans un cadre peu légal. Il ne faut pas réitérer pour la Syrie ce qui a été fait en Irak. L'embargo n'a pas réglé la situation et a fait inutilement souffrir la population.
Je m'interroge aussi du peu de place faite au peuple syrien sur son avenir. Il appartient aux Syriens de décider de leur avenir.
Par ailleurs, j'appelle votre attention sur la question croissante des Kurdes de Syrie. A la différence du Kurdistan Irakien, il n'existe pas historiquement de terres syriennes où les Kurdes seraient majoritaires. Or sous la pression des événements militaires, on assiste à une inquiétante montée des tensions à l'encontre des chrétiens arabophones. Mgr Audo, évêque chaldéen que vous avez par ailleurs reçu ici, a été la cible d'une tentative d'assassinat. En aucun cas, il ne doit être permis de légitimer une terre qui ne serait réservée qu'à une population.
Je m'interroge sur les visas pour asile déposés par les chrétiens de Syrie. Beaucoup d'entre eux, sur nos conseils, ont formulé des demandes en toute légalité et observent qu'il est plus facile d'obtenir gain de cause en rejoignant la cohorte des réfugiés entrant illégalement sur les territoires européens. Il ne s'agit pas ici d'établir une hiérarchie entre réfugiés mais je rappelle que les Syriens se situent en zone de guerre. Il m'apparait à cet effet très hasardeux de considérer les réfugiés syriens comme n'étant pas menacés sous prétexte qu'ils ont trouvé un point de chute en zone contrôlée par le pouvoir en place. Mais il est vrai que la priorité est de leur donner les moyens de rester sur leur terre.
Je terminerai mon intervention en posant une question.
Des actions sont menées contre Daesh mais qu'en est-il du Front Al-Nosra ou aux affiliés d'Al-Qaeda ? Il s'agit aussi de groupes terroristes. La position des pays occidentaux n'est pas audible. Elle l'est d'autant moins s'agissant des Frères musulmans qui ont été chassés du pouvoir en Egypte et qui sont considérés par les chancelleries occidentales comme des interlocuteurs "modérés". Il faut une analyse plus fine des modalités dans lesquelles les Frères musulmans ont exercé leur pouvoir avant leur renvoi. Ils ont certes été élus démocratiquement mais la démocratie consiste aussi en des préceptes de gouvernement. Après tout, des gouvernements totalitaires sont aussi sortis des urnes dans les années 30. Il faudrait donc un peu plus de recul.
Plus généralement, nous assistons à une dérive inquiétante de la discrimination envers les non-musulmans, particulièrement les chrétiens. L'Unesco, dont le champ d'action englobe les droits de l'enfant, l'éducation et les droits de la femme, serait bien inspirée de réagir à l'émergence de revendications juridiques d'inspiration musulmane sapant les fondements d'un édifice juridique à vocation universelle. Quel est le sens d'une déclaration islamique des droits de l'Homme ? En quoi cette déclaration est-elle plus protectrice que la déclaration universelle proclamée en 1948 ? Or nous assistons sur ce fondement à des situations authentiquement discriminatoires s'agissant de la liberté religieuse : dans certains pays, il est aujourd'hui impossible pour un musulman d'épouser un chrétien sauf à ce que ce dernier se convertisse.
La protection des minorités via un corpus juridique universel et intangible associé à des mesures fermes de protection est indispensable. Au-delà du retour sur les terres ancestrales, il s'agit de préserver l'équilibre des sociétés du Moyen-Orient.
Je conclurai enfin par le rôle essentiel de l'enseignement francophone en Orient. 400 000 élèves assistent à un enseignement francophone sans aucun soutien des autorités françaises. Il serait peut-être opportun de s'interroger sur le soutien à la formation des futures élites et sur le rayonnement culturel et éducatif de la France."